Les fables de Lafontaine sont ingénieuses ! A l’époque, au XVIème siècle, elles permettaient de détourner les interdictions de la Cour Suprême. En racontant des histoires à propos d’animaux, Jean de La Fontaine parvenait à parler des vices humains sans que l’on ne s’en rende forcément compte. C’était une ruse qui consistait en parler de quelque chose, sans en parler véritablement. C’est cette astuce qui a notamment participé à leur succès.
Dans « En attendant Godot », Samuel Beckett utilise le même stratagème : pour parler de la fin de l’humanité et de l’obsolescence de l’homme, il n’en parle a priori pas du tout. Effectivement, nous n’assistons pas à une déploration de la fin du monde, de ses travers et de ses maux. Ici, Beckett renverse à la fois la forme et le principe de la fable. Il raconte une histoire où il ne se passe rien ; et c’est comme ça qu’il parvient à raconter l’histoire du monde qui tourne en rond.
Pour renforcer cette aspect vide de la fable, Jean-Pierre Vincent a pris le parti de respecter intégralement le texte et les didascalies de Beckett. Selon lui, les didascalies de Beckett sont nombreuses, précieuses et géniales! Le texte se suffit à lui-même et contient l’essentiel. En ajoutant toutes formes de symboles, de références, d’indications ou d’interprétation dans la mise en scène, la pièce n’aurait en fait plus aucun sens car elle ne serait plus « vide ». Le respect des didascalies participe donc complètement au processus ingénieux utilisé par Beckett et Lafontaine qui consiste en l’inversion du sujet et du prédicat.