La forêt

Marie de Ridder
Femme en mouvement et en questionnement. 93,5 % femme, 6,5 % homme

Promenons-nous dans les bois

Ils avaient senti qu’ils devaient fuir la société avant qu’elle les rejette.
L’ensemble de l’action de Ton joli rouge-gorge se déroule dans une forêt. L’occasion de nous pencher sur d’autres œuvres qui utilisent également ce décor, et dont les thèmes entrent en résonance ici.

La forêt en tant que lieu flou, indéterminé, et obscur, symbolise souvent l’inconscient. C’est un lieu des possibles où virtuellement tout peut surgir : l’aventure, les obstacles, le mystère. C’est aussi, forcément, un lieu magique. C’est la forêt des contes de fées, celle de Brocéliande dans les romans arthuriens, le bois druidique des Carnutes dans Astérix, la forêt recelant l’horreur du film The Blair Witch Project, celle de la série Lost, de la mythologie antique, la Forêt Interdite de Harry Potter, la « forêt en mouvement » prophétisée dans Macbeth. Un lieu qui par essence donc nous ramène aux couches les plus anciennes de la culture populaire, car enraciné, c’est le cas de le dire, dans nos craintes les plus archaïques. Chacun trouvera dans sa culture personnelle des survivances de cela, de Miyazaki à Tolkien. Si l’on s’en tient à la clé de lecture jungienne (psychanalytique), la forêt dans Ton joli rouge-gorge révélerait l’inconscient des héros, à savoir la binarité et les stéréotypes de genre, incontrôlables.

Lieu ambivalent, la forêt est tout à la fois hostile, synonyme de peur, d’abandon, de solitude, mais aussi d’accueil, de réconfort, forêt-refuge. Elle sera très souvent, en tant que lieu d’action, un terrain d’épreuves, d’initiation, dont le héros sortira grandi. Elle peut également revêtir un sens religieux : négativement, elle représente la perdition, le péché. C’est le cas de la « selva selvaggia », la forêt sauvage et obscure que traverse Dante dans le Chant 1 de l’Enfer : c’est au milieu de celle-ci que va démarrer son parcours salvateur de purification. Positivement, elle symbolise dans certaines cultures un sanctuaire, les arbres faisant lien, par leur verticalité, entre terre (l’ici-bas) et le ciel (le monde divin) ; elle est ainsi un lieu sacré. Ici, dans Ton joli rouge-gorge, la forêt-refuge va devenir un lieu de mort et de violence.

La forêt-refuge permet d’échapper à la société, et ce qu’il s’y passe est justement ce qui ne pourrait pas se produire dans le monde « normal ». Pensons aux affreux parents du Petit Poucet, chez Perrault, qui tentent tant bien que mal d’y abandonner leurs enfants. La forêt comme fuite loin des convenances, d’un monde trop cadré, trop carré, est celle qu’on retrouve dans les films Into the wild, Brokeback Mountain (il s’agit davantage de la nature que de la forêt à proprement parler, mais passons), Captain Fantastic, dans les expériences d’isolement que relatent Sylvain Tesson (Dans les forêts de Sibérie) ou, en fiction, David Vann dans le très perturbant Sukkwan Island. Dans la forêt, roman de Jean Hegland, nous y emmène sur le mode du survival. C’est le cadre où il est permis de réinventer un autre monde, que la tentative soit réussie ou non, d’ailleurs. On y renoue avec la nature (courant du nature writing), avec sa propre nature identitaire, avec ses valeurs authentiques, mais c’est parfois une impasse que le protagoniste trouvera, et l’utopie vire alors au cauchemar. Dans Ton joli rouge-gorge, la forêt est à la fois le lieu où les personnages donnent à voir, en creux, le nouvel ordre mondial tolérant, et celui où l’ancien ordre, violent, retrouve à se déployer.

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